En souvenir d’une soirée de braises
Un an déjà qu’il est parti.
Elle vint rejoindre ses amies du conservatoire de musique pour un déjeuner entre filles, à deux pas du port. Chacune voulut parler de lui, offrir son réconfort, comme dans un séminaire. Cette litanie la rendit si mélancolique qu’elle dut changer d’air et finalement s’en retourna, en fin d’après-midi. Elle prit la route qui longe la mer, une route dangereuse qu’elle appréhende encore. Une heure de trajet, la tête un peu ailleurs, un peu sur les nerfs. Tous ces souvenirs exhumés s’emmêlèrent dans son cœur, d’où perlait une émotion baignée de douleur.
Elle soulagea sa peine une fois arrivée en pleurant un moment. Sans appétit, elle dîna sur le pouce, debout, seule avec son tourment. Dans la soirée de juillet, la canicule se fit plus intense, le temps devint menaçant. Elle prit une douche froide et se mise au lit, fatiguée de tout.
Plongée dans un demi-sommeil, Eve étendue au-dessus les draps, elle eut un frisson quand l’air circula soudain dans la chambre. Dans la pénombre il sortit calmement de la salle de bain, sans un bruit, sans un mot, dans le plus simple appareil. En l’espace d’un petit cri, elle troqua sa mélancolie contre une ancienne connivence. Surprise mais rassurée, elle ferma les yeux en confiance.
Il s’allongea tout près, presque au contact. Elle ressenti d’abord sa chaleur, puis son regard d’une infinie tendresse. Il contempla ses courbes gracieuses, ce trésor d’harmonies généreuses que la nature accorde à quelques privilégiées. Ce joyau dissimulé dernière des vêtements passés ne s’est jamais dévoilé qu’à lui, son infidèle. Elle sait combien il révère son corps, comme il aime en jouer et le faire chanter. Progressivement elle se détend, laisse filer son imagination sensuelle…
Tu soulèves délicatement mon poignet et le porte à tes lèvres. Avec une retenue timide tu l’embrasses, comme tu saluerais devant ton pupitre. J’approuve d’un sourire ta proposition audacieuse, tout est en place, tu peux ouvrir ta symphonie malicieuse.
Tu commences par me frôler longuement le bras, éveiller mes sens, nous accorder l’un l’autre pour jouer juste. Ta main glisse en silence, cajole mon épaule, masse ma nuque, étend sur le lit mes cheveux d’ébène. Elle coulisse hardiment jusqu’au sommet d’une éminence qui se dresse à l’horizon de mon buste. Plusieurs fois elle fait le tour du chemin de crête où ma peau se contracte, puis dessine des lacets de plus en plus grands jusqu’à la plaine.
Tu t’attardes autour de mon nombril que tu affectionnes aussi, épicentre de mes émotions et réservoir à gargouillis. Tu aimes y poser ton oreille en écoutant chanter mon ventre. Je sens ta tête posée là comme celle d’un enfant assagit. Après plusieurs cercles onduleux dessinés sur ce coussin moelleux, tu te se diriges prudemment vers mes jambes. Tu évites, avec beaucoup de soins, le territoire impatient qui réclame ta visite.
Ta main lente effleure l’extérieur de ma cuisse qui frissonne et s’éveille. Tu caresses ma jambe galbée, ma cheville fragile, jusqu’à l’extrémité de mes orteils. Parfois tu prends le temps de masser mes pieds, mais aujourd’hui tu as d’autres projets. Tu remontes vers mon bassin fébrile, cheminant cette fois sur l’intérieur de mes jambes restées immobiles. Ta main contourne à leur sommet ce terrain défendu, que je sens s’impatienter.
Tu prolonges ton étreinte tantrique sur mon autre versant, empruntant à la descente et à la montée, un itinéraire symétrique. Repassant par mon ventre et mes côtes tu te hisses jusqu’au sommet de mon second promontoire, sous-pesant sa masse onctueuse en un geste giratoire. De là tu files jusqu’à mon bras, jusqu’à mes doigts que tu suçotes. Toutes ces caresses font éclore derrière elles des soupirs d’allégresse.
Ta câlinerie érotique se poursuit en répétant ce motif de ton invention. Elle se déploie en cadence, accentue la pression sur ma peau, son allure, l’ardeur des tes intentions. A chaque passage je ne peux m’empêcher d’exhaler un gémissement chromatique. A chaque cycle, je deviens plus sensible et me tends, ma respiration se fait extatique. Mes sommets qui pointent vers le ciel t’attirent inexorablement. Tu les embrasses avec tant de mordant qu’ils se dressent encore et se font plus ardents. Peu à peu mes jambes s’écartent et forment un chenal. Jugeant la voie praticable, ta main s’engage sur cette terre impatiente.
La course de ta main est plus audacieuse, plus sonore, plus intime, parcourant toute la surface frémissante de mon corps. Elle esquive les abords de mes zones érogènes, qui s’enflamment. Sous sa vigueur toute ma peau s’échauffe. Mes gémissements grimpent la gamme. Et puis à l’octave subitement elle se retire. Le silence... Un tremblement réflexe me parcours. Je reprends un peu mes esprits. Fin du premier mouvement. Je connais la partition et tourne lentement la page avec mon index.
Je te sens fixer mon visage. Dorénavant seul ton majeur musicien, t’enseignera ma topographie. Là où il va, tes yeux n’iront pas, il te faut ressentir. Je t’entends baptiser ce satyre, que tu envoies visiter ma digue à marée haute. Premier contact, j’inspire et te laisse un large accès. Ton enchanteur déploie sa chorégraphie tournoyante devant l’entrée, tant et si bien que les battants de l’écluse s’entrouvrent, laissant un filet d’eau s’écouler. Sans aller plus avant, il se faufile entre les plis et les replis soyeux menant au mécanisme d’ouverture, qu’il entend actionner. Après quelques tours de sésame, clic-clac, l’âme se déverrouille. Je pousse un petit cri au déclic et me pâme. Tu sais faire s’épanouir la fleur de madame...
Ce voyageur miniature vient prendre à ma bouche une onction, puis repart à l’aventure. En douceur il découvre la surface lisse, en déplie la structure et se perd dans ses méandres, accroissant mon supplice. Une dernière rasade à tes lèvres avant de pousser les vantaux et de pénétrer dans le sas, dont le lit se déverse à grands flots. J’expulse d’un trait mon impatience trop contenue. L’explorateur envahit tout l’espace du calice qui s’offre à sa vue. Prenant possession des lieux dans une marche alternée, mon héros cherche à amplifier par ses soins appuyés le ruissellement des eaux. Il connaît la mesure et joue désormais sa mélodie tourbillonnante en alternance, du bouton C au contrepoint G, sur une allure lancinante. Ses stimulations voluptueuses composent un crescendo qui m’enivre à saturation.
J’ondule au rythme de tes accords. Le ton de mes plaintes s’élève aussi. Mes grognements se font plus forts. Ton interprète sûr de lui joue son solo frénétique sans fausse note, malgré mes sursauts de plus en plus erratiques. Soudain tu m’embrasses, cherchant à maîtriser mes saccades. Ne relâchant pas ton étreinte, tu passes un bras sous mes épaules qui retient mes incartades. Tu es pleinement en contrôle et tu conduis fermement ton boléro. Tu varies le tempo, tu modules. Les sections du mouvement s’enchaînent et m’acculent toujours plus vers le point de bascule.
Je sens monter la ritournelle... Là ! C’est le final ! Dans un furieux tonnerre, sa puissance déferle par vagues qui me secouent de toutes parts. Je dois stopper ta musique avant qu’elle ne me noie... Son écho vient et puis repart… raisonne en moi, pendant une minute entière.
La marée redescendue, mon dévoué visiteur s’attarde un peu, profitant de ma fièvre et de ses liqueurs. Nous partageons tous les deux une lapée de cet apéritif sucré. Le reflux du plaisir me dépose lentement sur la plage… Je pose un pied à terre. J’émerge doucement... J’ouvre les yeux. Où est-il passé ? Déjà dans la salle de bain ? Il fait noir à présent. J’entends l’orage gronder tout près.
Un éclair et son claquement sec la sortirent brusquement de sa torpeur. Le vent humide s’engouffra dans la chambre et claqua la porte contre le mur. Où est-il ? Tandis qu’elle scrutait son ombre dans le noir, un nouvel éclair illumina les tentures. Elle se redressa et reconnu son visage dans un triptyque, sous le miroir. Un photomaton décoloré, une échographie sertie de blanc, un troisième cadre vide. Son esprit à cet instant s’éveilla entièrement.
Ses doigts palpèrent nerveusement ses cicatrices, comme pour faire connaître la vérité à son cœur incrédule. Dégrisée, elle sanglota un peu, jusqu’à grelotter. La pluie libératrice et l’air frais lui firent refermer la fenêtre. Le voyage était terminé.
Après quelques larmes sèches, elle plongea dans un sommeil serein, en chérissant cette promesse rassurante : « Demain j’irai embellir sa demeure, il aime tellement les fleurs ».